Didier Goessens est un artiste qui vit pleinement son art. Dessinateur, peintre, installateur – l’homme est pluridisciplinaire, son geste dynamique, nerveux et fluide. KAZoART vous propose d’en apprendre plus sur cet artiste en évolution permanente, à la frontière entre figuratif et abstraction.
« Appréhender une réalité vivante, dans un échange profond, plonger en elle comme la laisser plonger en moi. Juste trouver, le support, les outils, le matériau, le rythme et puis les sens et la force des gestes, tout ça sans bouger de ma place – plonger dans la danse, sans plus réfléchir, juste ressentir, vivre le contact. »
Biographie
Né en 1962 à Charleroi en Belgique, Didier Goessens est dessinateur, aquarelliste, peintre et graveur. Cet artiste pluridisciplinaire baigne dans le monde de l’Art depuis sa plus tendre enfance. Il fréquenta les Académies des Beaux-Arts, selon son expression, « avant les bacs-à-sable et les cours de récréation ». Puis il suivit des cours de BD à l’âge de 14 ans, et vers 17 ans des cours de croquis avec son père. Il obtient ensuite un diplôme d’enseignant à l’école Normale. Enfin, à l’Institut Saint-Luc de Liège, il apprend le métier d’illustrateur à la fin des années 80, se nourrissant entre autres des échanges avec ses camarades. Il travaille alors pour la publicité, fait des décors pour des défilés ou des spectacles, et est très souvent sollicité pour ses illustrations de mode (Marie-Claire, Flair, Feeling, exposition universelle Séville 1992…) Ce métier, il le pratique encore aujourd’hui, en parallèle de ses travaux de plasticien. Il vit à présent en France depuis plus de 20 ans.
Didier Goessens affectionne le nu et utilise essentiellement le papier de riz marouflé comme support. Ses pigments favoris sont l’encre et l’acrylique. Il jongle habilement entre plumes d’oies, brosses et pinceaux chinois pour des compositions fluides. Entre Orient et Occident, abstraction lyrique et art pariétal, Didier Goessens explore les possibilités du geste.
L’avis de KAZoART
Didier Goessens manie un trait fluide, envolé mais assuré, au service d’un art vaste aux sujets multiples. Ses nus sont dynamiques – les visages disparaissent pour laisser place à l’élan des corps, à l’image de ces femmes toujours en mouvement, jamais reposées, lascives mais pleines de vie. Proche de la calligraphie asiatique, Didier Goessens utilise l’encre pour créer la trace, fait prendre vie aux formes, de simples traits devenus silhouettes. Il fait jouer les vides et les pleins, créant autant par l’absence que par la présence…
Tantôt proche d’Egon Schiele en matière de femmes, tantôt inspiré par Soulages et son travail du noir (on pense à la série des Chims), Didier Goessens se rapproche également des explosions de couleurs de Georges Mathieu ou des lignes franches de Franz Kline, et l’on imagine fort bien l’artiste en pleine Action Painting…. On aime la liberté dans ses créations ainsi que la variété pluriculturelle de son œuvre.
#5 Questions à Didier Goessens
K.. Quelles sont vos principales influences artistiques ?
Les grands dessinateurs, bien sûr, pour ce qu’ils m’apprennent par leur intelligence des choses et de la vie. Il ne faut pas que regarder, il faut voir, il faut être, et le dire autrement, en étant ce que l’on observe. De Vinci, Tiepolo, Hokuzaï, Schiele, Bellmer, Weisbush… mais aussi, des grands de la Bande Dessinée ou de l’illustration : Jijé, René Follet, Ralph Steadman, Frazetta, Claire Wendling… et nombre encore de grands peintres, d’Occident comme d’Orient ; les anonymes de Lascaux ou du Tassili, les peintre du Fayoum, Rembrandt, Goya, Picasso, Zao Wou Ki, Soulages, Alechinsky, Fabienne Verdier… sans oublier les danseurs, chorégraphes, musiciens, photographes, cinéastes, écrivains…!
K. Pour vos nus, travaillez vous d’après modèle ou d’imagination ?
J’ai dessiné des modèles vivants pendant de nombreuses années, beaucoup travaillé aussi d’après photos, pour mes illustrations de mode, ou des photos de danseurs pour mes recherches personnelles. Ma formation en BD m’a par ailleurs appris à dessiner de mémoire, ce que je fais pour beaucoup de mes œuvres.
Pour les nus que je réalise en ce moment, je pourrais encore les exécuter « de tête », mais le geste comme les attitudes dessinées sont très vite répétitives et systématiques, et le trait est différent, un peu trop savant. J’ai donc recommencé à dessiner d’après documents, des photos d’amis photographes, ou bien glanées sur le Web … le geste se réinvente toujours, l’histoire de la construction d’un dessin est toujours nouvelle, unique.… ce sont les coups réussis, encore plus les accidents de parcours qui font advenir l’œuvre. La trace est le souvenir du geste, s’il était vrai, s’il était vivant, elle l’est et le restera .
K. On peut vous associer à l’abstraction lyrique, et à des peintres comme Georges Mathieu. Vous reconnaissez vous dans ce courant ?
Il s’agit de tout un autre pan de mon travail, et l’abstraction lyrique y correspond bien. Je l’ai effectivement découverte à travers les travaux de Zao Wou Ki, ou de Georges Mathieu, mais aussi de nombreux peintres, calligraphes asiatiques, ou inspirés par ces derniers. J’aime cette soif de dire l’essentiel de la vie, du ressenti, à travers des œuvres essentiellement non-préméditées, et non figuratives. Le geste est alors comme un outil, et comme la raison même de la recherche, le porteur de l’émotion pure, d’une émergence, détachée de tout contenu intelligible.
Mais dans un même temps, je refuse l’anecdotisme, tout comme l’esthétisme froid et mécanique, un peu gratuit, qui me gêne parfois chez Mathieu, intéressant au début, mais qui donne vite dans la redite. Je reste dans la quête du beau, des équilibres, des murmures poétiques. Simplement être dans une histoire de vie qui s’écrit devant mes yeux, que je laisse danser sous mes doigts, lui proposant seulement quelques inflexions, quelques accents ou ponctuation – une danse.
K. Vous sentez-vous proche de l’art pariétal ?
C’est une évidence ! Mes parents m’y ont sensibilisé, en même temps qu’aux merveilles de Rembrandt, de Rodin, ou de la Renaissance italienne. J’ai par ailleurs pratiqué la spéléologie, ainsi que les fouilles archéologiques en grottes… et avec toujours en tête le rêve d’une nouvelle découverte.
Je suis fasciné par la beauté absolue de ces peintures – comme des petites sculptures de Vénus mésolithiques – par cet art de dire la vie, de faire un maximum avec si peu de moyens, la quintessence, l’essentiel… Quelle merveilleuse quête ! D’ailleurs, tout mon travail sur les Grosses, comme sur les Toros, en découle directement… Je fais également des recherches sur les fonds : les enduits, le sable, les pigments, pour les amener au plus près des supports pariétaux. Je ramène aussi dans mon atelier les vestiges de mes campagnes de fouilles : ossements, mâchoire d’ours, fémur d’auroch… je suis ainsi dans mon élément et je peux convoquer mon sujet.
K. Vous vous êtes essayé auparavant à la sculpture ou à la photographie… Pratiquez-vous encore ces techniques ?
Je m’amuse encore avec mes appareils numériques, mais je n’aurais pas la prétention de me dire photographe… je fais parfois de jolies photos, comme il peut arriver que des photographes fassent un joli dessin ! Chacune de ces disciplines, pour qui les respecte, est comme une maîtresse jalouse, qui exige souvent l’exclusivité. Le dessin d’abord m’est indispensable, parce que son apprentissage précède, de façon quasi incontournable, beaucoup d’autres formes d’art… il devient ensuite un objectif privilégié, comme un apostolat véritable. Mais je fais une petite digression, de temps à autres… un peu de monotype par exemple, pour dérouiller les presses de l’atelier, pour le plaisir. La sculpture, pour le moment, ne correspond plus aux impératifs de ma gestuelle, trop spontanée, trop fluide.
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